Existe-t-il des météorites d'origine terrestre ?

NWA 5363, une météorite rarissime appariée à NWA 5400

Voici en résumé l'histoire de la découverte d'une météorite plus exceptionnelle qu'il n'y parait : NWA 5400 (4,8 Kg). A noter que ses appariées sont NWA 5363 (2,5 Kg), NWA 6077 (1 Kg) et NWA 6292 (0,7 Kg).
En 2008, Greg Hupé (de Lake Placid, en Floride), était au Maroc pour acheter des météorites à des chasseurs locaux. Alors qu'on lui proposait quelques météorites, il remarqua une étrange pierre de 4,8 Kg et l'examina à la loupe. Il a tout de suite remarqué qu'elle était différente du lot. "C'était pour moi tout à la fois familier, mais aussi très peu familier," dit Hupé...

Hupé pris un risque et acheta la roche. Il la ramena chez lui, en Floride, puis envoya un échantillon au laboratoire de l'Université de Washington pour analyse et classification. 
Bien que collectionneur de longue date et chasseur de météorites, Hupé était conscient que devant ce genre de roche de l'espace, il fallait une analyse chimique pour en déterminer le type exact. 

Les scientifiques décomposent les météorites en trois grands groupes: les fers, les pierreuses avec fer (les "chondrites", roches dites primitives) et les pierreuses sans fer. Les fers découlent des noyaux d'astéroïdes qui étaient assez grands pour fondre comme la Terre. Les éléments lourds comme le fer et le nickel forment le noyau, tandis que les matériaux plus légers flottent au sommet pour former le manteau et la croûte. Plus tard, les collisions entre astéroïdes fissurent certains d'entre eux, libérant des fragments de fer provenant du noyau ainsi que des matériaux rocheux de la surface. 
Les météorites pierreuses sans fer proviennent donc d'une zone située au-dessus du noyau, entre le manteau et la croûte. 
Les corps du système solaire qui ont fondu et se sont séparées en croûte, manteau et noyau sont désignés comme étant différenciés, à l'opposé des météorites restées primitives. La Terre, toutes les planètes, les lunes et les gros astéroïdes sphériques sont tous differentiés. A partir de ces éléments, une météorite peut ensuite être classée plus finement selon la quantité et la nature des minéraux et des métaux qu'elle contient. 

La roche de Hupé (NWA 5400) a été classée comme une achondrite ressemblant au type Brachinite, une météorite pierreuse venant d'une zone sous la croûte d'un astéroïde ayant souffert de chauffage, de fusion et de recristallisation. Son ingrédient principal est l'olivine, une jolie roche verte cristalline que l'on trouve en abondance dans le manteau terrestre. Un autre nom pour l'olivine est péridot, souvent vendu dans les magasins de bijoux comme pierre fine.
Les Achondrites sont suffisamment rares pour faire afficher un large sourire sur le visage de tout collectionneur chanceux qui en détiendrait 4,8 Kg ! Mais ce rocher céleste s'est avéré être beaucoup plus inhabituel... 
Le laboratoire a communiqué ses premiers résultats d'analyse, et il serait minimaliste de dire que Hupé a été "époustouflé" par ce qu'il a entendu. Les scientifiques ont découvert que sa pierre était étroitement liée à deux roches lunaires et aux roches terrestres, mais qu'elle n'était ni d'origine lunaire, ni originaire de la Terre actuelle. S'étant basés sur une analyse détaillée des isotopes de l'oxygène présents dans l'échantillon, les chercheurs ont suggéré que la pierre pourrait être une météorite terrestre ou plutôt, un dérivé de l'antique Terre remontant au moment de sa formation, il y 4.5 milliards d'années. D'autres possibilités incluent aussi un second corps différencié, de la taille de Mars, à l'origine du couple Terre/Lune, ou encore, un fragment de cette matière ayant fusionné pour former la Lune.

Voyons ce qui pouvait se trouver dans le secteur de la Terre il y a plus de quatre milliards d'années... 
La composition des roches lunaires est très similaire aux roches trouvées dans le manteau de la Terre, mais elles sont très pauvres en métaux comme le fer et le nickel. La Terre et La Lune ont en quantités équivalentes trois isotopes différents de l'oxygène. Les scientifiques les appellent l'oxygène O2-16, l'oxygène-17 et l'oxygène-18. Les planètes et les astéroïdes ont leur propre signature de ces trois formes de l'oxygène. Une des principales raisons pour lesquelles nous croyons que la Lune vient de la Terre est que la Terre et les roches lunaires ont des proportions identiques de O-16, O-17 et O-18. Pour expliquer cela, ainsi que d'autres caractéristiques de la Lune, les scientifiques ont émis l'hypothèse qu'un corps de la taille de Mars baptisé Théia (mère de la déesse de la lune Sélène) a frappé la Terre quelques 50 millions d'années après sa formation. L'impact a fait fondre des millions de tonnes de roche de la croûte et du manteau de la Terre, ainsi que de Théia, les dispersant en orbite dans l'espace. Les restes de Théia ont été absorbés en grande partie par notre planète, quant aux matériaux éjectés, ils se sont réunis dans un anneau autour de la Terre, puis agglomérés pour former la Lune. Parce que le noyau métallique de notre planète a été épargné par l'impact, la Lune a reçu très peu de fer. Ce scénario explique parfaitement ce que nous savons aujourd'hui de la composition de la Lune.

Du coup, la météorite de Greg Hupé pourrait être le premier vestige trouvé de l'événement qui a créé la Lune. 

D'autres analyses seront effectuées sur cette météorite, en particulier celles pour déterminer avec précision son âge. En attendant, rêvons un peu en envisageant ce scénario :
Théia, planète de la taille de Mars formée dans le voisinage de la Terre, entre en collision et fusionne avec notre planète peu de temps après sa formation. La plupart du matériel éjecté s'assemble pour former la Lune, mais une partie est éjectée à plus grande vitesse et terminera sa course, soit capturée par d'autres planètes existantes, soit capturée par le Soleil, ou encore, piégée dans la ceinture principale d'astéroïdes.
On peut imaginer qu'une collision il y a quelques millions d'années dans la ceinture d'astéroïdes (évènement fréquent à l'échelle de l'âge du système solaire) détache un morceau en le lançant en direction du Soleil. Le temps passe, et il y a quelques siècles, le petit bout d'astéroïde croise la Terre et se désintègre partiellement dans son atmosphère au dessus du désert du Sahara, au nord-ouest de l'Afrique, et s'y écrase en une chute multiple. Il faudra attendre 2008 pour que les 9 Kg de pierres soient découverts à quelques kilomètres les uns des autres par des chasseurs de météorites marocains. Ils deviendront NWA 5363, NWA 5400, NWA 6077 et NWA 6292.

Alors ? Un morceau de la Terre est-il retourné à la maison après un voyage de plus de 4,5 milliards d'années ? Peut être... Mais même si ce n'est pas le cas, ces 4 météorites sont déjà des stars auprès des collectionneurs et des scientifiques. En attendant, poursuite des travaux avec l'analyse des radionucléides cosmogéniques formés dans la météorite à partir de l'intéraction avec les rayons cosmiques. Ces données pourront nous informer sur l'histoire de son exposition spatiale. Egalement, mesure des propriétés magnétiques, comme ce fut déjà le cas sur une météorite de type Angrite, pour nous renseigner sur le type de corps parent d'où ces 4 météorites appariées pourraient être originaires (en ce qui concerne les autres brachinites, ce serait un astéroïde de type "chondrite R" à priori).

Résultats d'analyses scientifiques :

http://www.lpi.usra.edu/meetings/lpsc2009/pdf/2332.pdf

http://www.lpi.usra.edu/meetings/lpsc2010/pdf/1492.pdf

L'histoire de la naissance de la Lune et de cette météorite en un film de 4 minutes :

https://www.youtube.com/watch?v=Jf628Bugy_I

Talon de 31,6g de l'exceptionnelle météorite NWA 5363 (voir page 4) :

Les isotopes de l'oxygène de tous les types de météorites comparés aux 4 NWA nous concernant :