ZOOM SUR LES METEORITES MARTIENNES

Petit historique sur ce type rare

Nous sommes en France, le 3 octobre 1815, et il est 8h du matin dans le petit village de Chassigny, près de Dijon. Les habitants sont brusquement réveillés par une très violente détonation. Il s’agit d’un boum sonique, le même que provoque un avion de chasse passant le mur du son à basse altitude. De quoi faire sursauter !

Sortis en hâte de leurs maisons, les villageois découvriront quelques heures plus tard la cause de ce vacarme effrayant… Quatre kilo de roches tombées du ciel ! Personne ne le sait encore, mais ces pierres viennent de cette petite sphère rougeâtre qui scintille la nuit entre les étoiles : la planète Mars.

De toutes les météorites martiennes dénichées à ce jour, Chassigny (c'est le nom que recevra cette chute) fut la première, mais aussi la seule jamais découverte en France.

La même histoire se reproduira le 25 août 1865 à Shergotty, en Inde. Ainsi qu'à Nakhla, en Egypte, le 28 juin 1911. Ces trois premières météorites martiennes sont remarquables à plus d'un titre. En effet, bien que magmatiques, elles possèdent une composition différente. Elles vont être pendant quelques décennies à la base d'une classification simplifiée des météorites martiennes, désignée sous le terme de SNC (pour Shergottite, Nakhlite et Chassignite).

Tout commence dans les années 1960. La véritable provenance de ces pierres, ainsi que leur lien de parenté, n'est pas connu. Les choses changent dès la fin des années 1970 avec la découverte de météorites semblables à ces trois SNC sur les étendues blanches et glacées du Pôle Sud (Antarctique).

En 1983, un premier indice sur leur origine est mis en évidence dans l’une d’entre elles (EETA 79001). De petites poches de verre renferment d'infimes quantités de gaz atmosphérique, d’une composition presque identique à celle de l'atmosphère martienne mesurée in situ par les atterrisseurs Viking en 1976 ! L'hypothèse martienne commence à se frayer un chemin dans les esprits. Les campagnes d'exploration de l'Antarctique se succèdent, et sont bientôt couronnées de succès. Les spécimens s'accumulent dans les labos, lentement mais sûrement. L'un d'eux, ALH84001 allait défrayer la chronique et faire couler beaucoup d'encre en 1996. D'un type différent des SNC, elle contiendrait des traces fossilisées d’une vie biologique. Rien n’a finalement pu être prouvé. Mais cela a déclenché auprès des collectionneurs et vendeurs de météorites du monde entier l’envie de sillonner les grands déserts chauds du globe, principalement ceux d'Afrique du Nord et du Oman. La raison ? En cette fin des années 1990, les météorites martiennes valent de l'or sur le marché des collectionneurs !

Les découvertes s'enchaînent, mettant à mal la classification alors en vigueur. Le terme SNC a alors de plus en plus de mal à englober la nature particulière de ces météorites, dont la provenance martienne semble dans le même temps faire de moins en moins de doute. Il est créé des sous-familles.

Les dernières preuves de l’origine martienne des météorites SNC

Nées dans l’enfer des volcans et du refroidissement du magma à proximité de la surface, ces roches très dures n'ont eu de cesse d’être pilonnées par des astéroïdes s'abattant sur la planète rouge depuis le début de son histoire. Parfois, l'impact rasant d'un objet de grande taille (astéroïde ou comète) a fini par éjecter des fragments de magma dans le froid de l'espace interplanétaire. C'est probablement l'événement le plus traumatisant expérimenté par ces morceaux de la croûte martienne.

Les infortunés cailloux dérivent ensuite pendant des millions d'années dans le vide spatial, avant de croiser par hasard l'orbite de la Terre et de rentrer en collision avec elle par le biais d'une descente vertigineuse à travers son l'atmosphère. S’ils y survivent, des hommes les ramassent, comme le 3 octobre 1815 à Chassigny. Et aujourd’hui, grâce à leur technologie, ils les étudient et percent les secrets de leur origine. Rappelez-vous, les scientifiques savent déjà depuis les années 1980 que de petites poches de verre contenues dans les SNC renferment d'infimes quantités du gaz atmosphérique de l’atmosphère martienne…

Après les sondes Viking à la fin des années 1970, l’examen très poussé de l’atmosphère martienne par le rover Curiosity de la NASA confirme dès 2013, qu’effectivement, certaines météorites tombées sur Terre baptisées SNC proviennent bien de la planète rouge ! Une nouvelle mesure clé de l’argon, gaz inerte présent dans l’atmosphère de Mars, effectuée par le laboratoire du rover, donne la preuve la plus définitive de l’origine martienne des météorites martiennes, tout en fournissant un moyen d’écarter l’origine martienne de toutes les autres météorites. La nouvelle mesure est un comptage à haute précision de deux formes d’argon (l’argon 36 et l’argon 38) réalisée par SAM (pour « Sample Analysis at Mars ») qui est le laboratoire embarqué dans le rover Curiosity. Ces formes plus légères et plus lourdes (« isotopes ») de l’argon existent naturellement dans le système solaire. Sur Mars, le ratio « normal » argon léger / argon lourd est faussé parce qu’une grande partie de l’atmosphère originale de cette planète a été perdue dans l’espace. La forme la plus légère de l’argon a été davantage perdue car elle monte au sommet de l’atmosphère plus facilement et demande moins d’énergie pour s’échapper. Cela a laissé l’atmosphère martienne relativement enrichie en isotope lourd, l’argon 38. Les années d’analyses effectuées par les scientifiques terrestres sur les bulles de gaz piégées à l’intérieur de météorites martiennes avaient déjà réduit le ratio de l’argon martien à une fourchette de 3,6 à 4,5 (c’est-à-dire 3,6 à 4,5 atomes d’argon 36 pour chaque atome d’argon 38). Les mesures des sondes Viking effectuées dans les années 1970 avaient placé le rapport atmosphérique martien dans la fourchette de quatre à sept. La nouvelle mesure directe de SAM effectuée sur Mars fixe maintenant le ratio correct à 4,2. «Nous l’avons vraiment épinglé», déclare Sushil Atreya de l’Université du Michigan. «Cette lecture directe sur Mars par Curiosity confirme définitivement l’origine martienne des SNC ».

Situation géographique des trouvailles sur Terre

Il faut évoquer ici l’origine problématique des météorites Sahariennes. Contrairement aux pierres collectées sur les glaces de l'Antarctique, leur provenance dans le désert n'est pas connue avec précision. Les roches sont souvent découvertes par des nomades, des « touaregs », qui, après avoir été conseillés, ont pris l'habitude de ramasser tous les cailloux noirs reposant sur un sol clair. Leurs trouvailles sont ensuite vendues une misère à des marchands spécialisés dans ce type de commerce. Les météorites traversent ainsi les frontières. Certains pays, comme l'Algérie, interdisent pourtant formellement l'exportation des roches, minéraux et autres objets archéologiques. Mais les pierres quittent quand même le pays par contrebande, puis sortent "officiellement" du continent africain par un autre pays frontalier (souvent la Mauritanie ou le Maroc), annoncé parfois comme le lieu de la découverte. De fait, pour les météorites venant d'Afrique du Nord (les NWA), et sauf exception, il est quasi impossible de connaître le pays et le lieu de chute réel de la météorite. Lorsque de multiples fragments sont mis à jour par différentes équipes à des années d’intervalle, ce qui est souvent le cas, il est très difficile de savoir s'ils sont, ou non, appariés (c’est-à-dire, s’ils appartiennent à la même chute).

Certes, diront certains, c’est un problème, mais ce n’est finalement pas si grave de ne pas connaître le point précis de la chute, l’essentiel restant la pierre en elle-même et son origine spatiale.

Quoi qu'il en soit, les SNC demeurent d'une importance capitale pour la science martienne. Elles permettent, après des analyses très fines (hors de portée de celles in-situ par les engins spatiaux), d'identifier de nombreux processus géochimiques qui ont eu lieu sur Mars. Mais surtout, quel immense bonheur elles procurent, à nous, passionnés du ciel ! Nous réalisons ainsi le rêve de pouvoir tenir dans nos mains quelques grammes du sol de la planète rouge !

Je possède pas mal de spécimens de Shergottites, ainsi que les fameuses Nakhlites et Chassignites. Voir au fil des pages les pièces en collection.

LES NAKHLITES et la géologie martienne

Mars est aujourd’hui une planète froide, sèche et géologiquement morte, mais cela n’a pas toujours été le cas. Il y a des milliards d’années, Mars a en effet connu une importante activité volcanique, ce qui a entraîné la formation de gigantesque volcans comme le Mont Olympe (le plus grand volcan du système solaire). Des météorites martiennes retrouvées sur Terre permettent aujourd’hui de mieux comprendre ce passé géologique.

Sur Terre, c’est la tectonique des plaques qui mène les débats. Sur Mars, l’activité volcanique est le résultat de panaches qui émanent du manteau. Ces derniers remontent profondément depuis les entrailles de la planète et repoussent alors la surface fraîche et statique vers le haut. C’est pourquoi les volcans martiens sont très grands. Le Mont Olympe n’est pas seulement le plus grand volcan de Mars, c’est également le plus grand du système solaire avec ses 22 kilomètres de haut. L’Everest fait pâle figure à côté. Pour tenter d’en savoir plus sur le passé géologique de la planète, des chercheurs de l’Université de Glasgow (Ecosse) ont alors analysé des échantillons de roches martiennes venues s’abattre sur Terre. Certaines roches martiennes, victimes d’impacts d’astéroïdes, finissent parfois par atterrir sur notre planète. 

Pour les besoins de leur étude, les chercheurs ont utilisé des techniques de datation radioscopique, couramment utilisées pour déterminer l’âge et le taux d’éruption des volcans sur Terre. Les six échantillons choisis ne sont autres que des nakhlites, une classe de météorite martienne formée à partir du magma basaltique il y a environ 1,3 milliard d’années. Analysant ces roches, l’équipe a ainsi pu découvrir 90 millions d’années d’histoire volcanique sur Mars. Les analyses ont suggéré des différences significatives dans l’histoire volcanique entre la Terre et Mars. Comme l’expliquait le Dr Cohen en 2017 :

«  Nous avons constaté que les nakhlites s’étaient formées à partir d’au moins quatre éruptions sur un intervalle de 90 millions d’années. C’est très long pour un volcan, beaucoup plus long que les volcans terrestres qui ne sont généralement actifs que pendant quelques millions d’années. Et l’on ne gratte ici que la surface du volcan, car seule une très petite quantité de roche s’est vue éjectée du cratère d’impact. Le volcan devait donc être actif depuis bien plus longtemps ». Par ailleurs, l’équipe a également pu déterminer la provenance de leurs échantillons de roches, à savoir quels volcans étaient impliqués. Tous sont situés dans un cratère particulier actuellement sans nom situé dans les plaines volcaniques connues sous le nom d’Elysium Planitia, à environ 900 km d’Elysium Mons, un volcan de 12,6 kilomètres de haut.

Les images satellites du cratère ont notamment révélé plusieurs bandes horizontales sur les parois – ce qui indique que les roches forment des couches, chaque couche étant interprétée comme une coulée de lave séparée. À l’avenir, les retours d’échantillons des futures missions ne manqueront pas de clarifier ce passé géologique. De quoi améliorer notre compréhension de la formation des planètes rocheuses du Système Solaire. Plus nous serons à même de comprendre l’histoire volcanique de Mars, plus nous en saurons davantage sur la formation et l’évolution du Système Solaire.

 

La météorite martienne NWA 11668 (page 14) :

La météorite martienne NWA 12960 (page 17) :

Fragment de la météorite martienne NWA 12269 (page 18) :

L'exceptionnelle météorite bréchique BLACK BEAUTY (page 21) :

La martienne BLACK BEAUTY - NWA 7034 (page 23) :

La martienne Nakhlite NWA 10153 (page 24) :

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